Tuka Institute
Pourquoi la ZLECAf ne peut pas survivre avec les tendances protectionnistes des pays africains
Dernière mise à jour : 20 juil. 2021

L'accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) est un projet qui ambitionne de faire de l'Afrique la plus grande zone de libre-échange au monde, créer un marché unique avec un PIB total de 3 000 milliards de dollars et sortir des millions d'Africains de la pauvreté. Cependant, étant donné la diversité économique et politique des nations africaines et le manque de mise en œuvre des accords commerciaux préexistants, il est prudent de prédire que l'application de la ZLECAf sera difficile.
Le protectionnisme, une théorie qui, fondamentalement, est en contradiction avec les principes du libre-échange et a été un réflexe politique pour de nombreux pays africains
L'un des obstacles potentiels au projet de la ZLECAf est le protectionnisme, une théorie qui, fondamentalement, est en contradiction avec les principes du libre-échange et a été un réflexe politique pour de nombreux pays africains. Tant que les décideurs africains et le public ne réaliseront pas que le protectionnisme est préjudiciable aux économies africaines à long terme, il sera difficile de mettre en œuvre les accords commerciaux dans le cadre de la ZLECAf, en particulier sur un continent où des accords multilatéraux similaires ont échoué.
L'illusion du protectionnisme
Les tarifs qui visent à soutenir la consommation locale créent à terme des coûts plus élevés qui diminuent la consommation sur le long terme
L'argument en faveur du protectionnisme est simple; il soutient que les tarifs douaniers élevés et les quotas d'importation protègent les industries nationales et catalysent leur croissance. Les défenseurs du protectionnisme soutiennent également que l'augmentation des barrières commerciales protège les emplois locaux.
En effet, à court terme, les industries nationales protégées ont tendance à croître grâce aux tarifs imposés aux entreprises et bien étrangers, cependant les répercussions économiques à long terme de ces mesures dépassent largement la brève impulsion que pourraient subir les industries nationales. Deux conséquences communes à long terme du protectionnisme sont (1) une hausse des coûts des produits importés et locaux et (2) une reduction de la qualité des produits disponibles sur le marché. Un effet supplémentaire du protectionnisme en Afrique est l'émergence rapide de marchés informels secondaires qui surgissent pour atténuer les coûts élevés des clients.
Les coûts plus élevés pour les clients sont exceptionnellement difficiles pour les économies à faible revenu. Bien qu'ils puissent profiter à quelques industries, trois conséquences communes de ces coûts perpétuent la pauvreté. Premièrement, les coûts élevés réduisent l'épargne des ménages. Une diminution de l'épargne limite la capacité des individus à consommer et à investir dans leurs économies locales. En d'autres termes, les tarifs qui visent à soutenir la consommation locale entrainent des coûts plus élevés qui diminuent la consommation à long terme. Deuxièmement, quand la hausse des coûts pour les consommateurs limitent l'épargne nationale et la capacité du secteur privé à investir, les gouvernements se tournent vers la dette extérieure pour combler le déficit national. En d'autres termes, la hausse des coûts a tendance à augmenter le fardeau de la dette d'un pays. Enfin, cette hausse des coûts limitent la croissance des entreprises locales et la création d'emplois. Un prix élevé du coton, par exemple, affectera simultanément la création d'emplois dans les secteurs du textile, de la mode et de la vente des vêtements au détail.
Le problème sous-jacent
Les pays africains se sont fait concurrence sur le marché mondial, plutôt que de tirer parti du commerce régional pour élever les industries nationales.
Le protectionnisme en Afrique a historiquement ciblé de manière disproportionnée le commerce régional. Pendant que les pays africains continuent les échanges libres avec les pays occidentaux, en particulier avec leurs anciens colonisateurs, le commerce régional reste faible et parfois restreint. Par exemple, la Gambie et son seul pays voisin, le Sénégal, ont connu six fermetures de frontières liées au commerce depuis l'an 2000. La dernière fermeture de frontière liée au commerce des deux pays a eu lieu en 2016 après que la Gambie a imposé une nouvelle taxe sur tous les camions immatriculés au Sénégal. La fermeture de la frontière a non seulement eu un impact sur le commerce entre les deux pays, mais a également prolongé de 10 heures les voyages entre les régions nord et sud du Sénégal pendant plus de 3 mois. Pendant ce temps, les deux pays ont maintenu de bonnes relations commerciales avec leurs partenaires occidentaux respectifs. En 2019, le commerce intra-continental africain ne représentait que 17% des exportations du continent, bien moins qu'en Asie (59%), en Europe (69%) et en Amérique du Nord (31%). Les faibles niveaux de commerce intra-continental associés à des tendances protectionnistes révèlent que les pays africains se sont fait concurrence sur le marché mondial, plutôt que de tirer parti du commerce régional pour élever les industries nationales.
Rédemption possible de la ZLECAf ?
La ZLECAf est une opportunité de corriger ce cap. Grâce à cet accord, la levée des barrières commerciales pourrait créer de nouvelles opportunités pour les entrepreneurs locaux et élargir leur clientèle. Les mesures de libre-échange seraient particulièrement bénéfiques pour les petits pays africains où les entreprises locales peuvent étendre leur marché cible en partageant leur expertise au-delà de la frontière de leur pays. Mais pour que la ZLECAf profite réellement à l'économie du continent, es pays africains doivent perdre leur réflexe protectionniste. De plus, il sera important pour l'opinion publique en Afrique de comprendre les effets néfastes du protectionnisme. Bien que le protectionnisme soit nuisible à l'entrepreneuriat en Afrique, c'est un concept populaire dans certaines communautés d'affaires. Et tant qu'il restera populaire, l'engagement politique de se conformer aux mesures de la ZLECAf sera toujours à la traîne.
Author
Lévi Kedowide - TUKA Institute